Par Philippe MOUKOKO
La sociologie politique congolaise a depuis longtemps répondu à cette question.
- EST-CE UNE OBLIGATION LÉGISLATIVE OU RÉGLEMENTAIRE :
Non, aucun texte (loi, décret, arrêté, etc.) n’impose à un Président du nord de désigner un Premier Ministre sudiste. L’article 83 de la Constitution de 2015 indique simplement que « Le Président de la République nomme le Premier Ministre et met fin à ses fonctions ». Ce texte donne donc au Président de la République la liberté de nommer son Premier Ministre parmi les hommes politiques du nord comme du sud. Il s’agit tout simplement d’une pratique politique. Elle consiste, pour un président du sud, à nommer un Premier Ministre sudiste et, pour un Président du sud, à nommer un Premier Ministre nordiste.
- A QUAND REMONTE CETTE PRATIQUE :
il s’agit d’une pratique politique qui remonte à l’indépendance du Congo en 1960. En effet, à l’issue des élections présidentielles de 1961 remportées par le Président sudiste Fulbert Youlou, celui-ci désigne au poste de vice-président un nordiste : Jacques Opangault. Un autre nordiste, Ambroise Noumazalaye, fut nommé Premier Ministre sous la présidence d’Alphonse Massamba-Débat. C’est surtout sous le règne du Parti Congolais du Travail que la pratique s’est renforcée. Le poste de Premier ministre ou de second du régime est dévolu à des Sudistes sous les présidences de Marien Ngouabi (Alfred Raoul, Louis Sylvain Goma), de Jacques Joachim Yhombi-Opango (L. S. Goma), de Denis Sassou Nguesso I (L. S. Goma, Jean-Pierre Thystère-Tchicaya, Ange Édouard Poungui, Alphonse Souklaty-Poaty) et Denis Sassou Nguesso II (Isidore Mvouba, Clément Mouamba, Anatole Collinet Makosso). Cette même logique amène des Nordistes aux postes de Premier ministre sous la présidence de Pascal Lissouba (Stéphane Bongho-Nouarra, Joachim Yhombi-Opango, Charles-David Ganao).
- QU’APPORTE CETTE PRATIQUE DANS LA VIE POLITIQUE :
il faut savoir que la vie politique du Congo-Brazzaville est marquée par « la personnalisation du pouvoir » (Félix Bankounda-mpele, « Une septième Constitution pour quoi faire ? », Politique africaine, n° 81, p. 163), l’Etat n’étant qu’un instrument financier, militaire, répressif pour perpétuer le pouvoir et la domination du président de la République : l’Etat c’est le président de la République, c’est le président de la République qui « paie les salaires », c’est lui qui « nomme à tous les hauts postes » dans la fonction publique, c’est donc lui qui fait la pluie et le beau temps au Congo. Sur ce pouvoir personnel se greffe un pouvoir de l’ethnie du président de la République. Actuellement, c’est le groupe Mbochi (du président de la République) qui préempte tous les avantages politiques, économiques au Congo : fils, cousins, frères, cousines, makangou, etc., qui occupent les postes les plus stratégiques et les plus rémunérateurs de l’appareil d’Etat. Pour atténuer cette mainmise des ressortissants du Nord (Mbochi et ethnies apparentées) dans la vie sociale, le président du nord, Denis Sassou Ngueso, nomme son Premier Ministre au sud : Anatole Collinet Makosso. Il s’agit donc d’une nomination qui apporte un équilibre géopolitique, et par voie de conséquence qui atténue l’opposition nord-sud (Mbochi c/ Kongo), dichotomie à travers laquelle beaucoup analysent la vie politique congolaise.
- A QUOI OBÉIT CETTE NOMINATION ?
Il ne faut pas penser que le président du nord nomme n’importe quel cadre du sud au poste de Premier Ministre. Il nomme toujours le cadre qui lui est docile et fidèle, qui est à même de lui apporter le soutien de son département : le Kouilou. Notre Premier Ministre a été pendant la dernière campagne électorale « le Atalaku » le plus brillant de Denis Sassou Nguesso. Il a été récompensé. Comme le régime politique congolais sert EGALEMENT à distribuer les avantages du pouvoir aux amis, à la famille et à l’ethnie, il faut s’attendre à ce que le cabinet du Premier Ministre soit essentiellement composé de ressortissants du Kouilou. Ainsi, « chacun aura sa part », car « le cabri broute l’herbe là où il est attaché ». A l’heure de ce post, ça klaxonne dans tout Pointe-Noire, les « sages Vili » font la fête ! Ils n’ont pas tort. Depuis le retour en 1997 de Denis Sassou Nguesso au pouvoir, le poste de ministre des Hydrocarbures est dévolu à un Vili (Jean-Baptiste Tati Loutard, André Raphaël Loemba, Jean-Marc Thystère-Tchicaya), eh bien ils ont désormais « la primature » ! Bingo !
- LA NOMINATION D’A. C. MAKOSSO APPORTERA-T-ELLE UN CHAMBARDEMENT DANS LA VIE POLITIQUE CONGOLAISE ?
A mon avis, non. Le système politique est trop corrompu et de mauvaises pratiques gangrènent le pays depuis des décennies, sous la présidence de Sassou Nguesso. En plus, les Vili ont toujours été révérencieux à l’égard des Mbochi. Les présidents du Nord font toujours des vilis de « brillants seconds » (Premier ministre ou vice-président) : pendant les présidences de M. Ngouabi (Alfred Raoul, Jean-Pierre Thystère-Tchicaya, Louis Sylvain Goma), de J. Yhombi-Opango (J.-P. Thystère-Tchicaya, L. S. Goma), de D. Sassou Nguesso (L. S. Goma, Thystère-Tchicaya). Tout porte à croire qu’il en sera de même avec Anatole Collinet Makosso.
- APPRÉCIATION PERSONNELLE SUR LA NOMINATION D’ANATOLE COLLINET MAKOSSO :
si cette nomination ne va pas changer la face du Congo on peut tout de même se satisfaire d’une petite chose : pour la première fois, le poste de Premier ministre est attribué à un Congolais de ma génération ! Presque beaucoup de mes amis de facebook ont pu se photographier avec le Premier ministre et l’on voit ces photos partout. Cherchez une photographie de Clément Mouamba avec Tristell Moussoki ou Celmond Koumba ? Nada ! Il n’y en a pas ! C’est la preuve que les vieux vont bientôt disparaître de la scène politique. C’est une bonne chose !
Philippe MOUKOKO