Depuis 2009, l’opposition congolaise invite de façon récurrente le président de la République à convoquer un vrai dialogue politique national, rassemblant toutes les forces politiques du pays, pour sortir de la crise globale qui plombe le Congo depuis son retour au pouvoir en 1997 et qui risque à terme d’embraser le pays.
Le président de la République a toujours rejeté obstinément cette proposition de bon sens. Aujourd’hui, sous la pression de divers facteurs internes et externes, il vient enfin de faire droit au bon sens, en convoquant le dialogue tant attendu. Nous prenons acte de cette initiative.
Cependant, une analyse approfondie du message à la nation du chef de l’Etat et des décrets présidentiels n° 2105-658 portant création, attributions et organisation du dialogue national; n° 2015-659 portant création, attributions et organisation de la commission préparatoire et n°2015-660 portant nomination des membres de la commission préparatoire du dialogue national, nous donne à constater que le chemin du dialogue est encore semé de beaucoup d’embûches. La date et la durée du dialogue, le thème, la commission préparatoire et les objectifs assignés au dialogue, sont révélateurs à cet égard.
1- De la date et de la durée du dialogue
Dans son discours à la nation, le chef de l’Etat a déclaré entre autres : « j’ai aussi arrêté que le dialogue national aura lieu du 11 au 15 juillet 2015 ». En ne prévoyant que 4 jours pour traiter des questions capitales comme celles inscrites à l’ordre du jour, questions qui engagent l’avenir du pays, le président de la République ne crée pas les conditions optimales du succès du dialogue.
Les délais fixés par lui sont trop courts au regard de l’extrême importance des enjeux politiques et des questions à traiter qui requièrent des réflexions très approfondies et qui nécessitent donc un temps relativement long. La réflexion intellectuelle et le travail bien fait ont besoin de la durée et ont horreur de la précipitation et de la superficialité. Le Collectif des Partis de l’Opposition congolaise estime qu’il est impératif d’accorder à la classe politique le temps suffisant pour lui permettre de conduire des réflexions profondes et neuves sur les questions à examiner. Dans cette perspective, il serait de bonne politique de décaler la date du dialogue.
2- Du thème du dialogue
Si le principe de la convocation par le président de la République du dialogue politique national va dans la bonne direction, par contre, le chef de l’Etat, après avoir longtemps tourné autour du pot, en est venu à inscrire d’autorité dans l’ordre du jour, la lancinante question du changement de Constitution que la majorité des Congolais rejette catégoriquement, et ce, malgré les moyens colossaux déployés pour acheter les consciences fragiles, embrigader les esprits faibles, intimider les populations. L’objectif du président de la République est d’imposer au peuple et à l’opposition son projet de référendum constitutionnel.
Que signifie en effet, le deuxième thème proposé à l’ordre du jour du dialogue, à savoir : « Fait-on, oui ou non, évoluer les institutions de la République ? Si c’est oui, dans quel sens souhaite-t-on les faire évoluer ? Et si c’est non, pourquoi ? »
En réponse à cette interrogation, il sied d’indiquer que sur le plan juridique, la Constitution de 2002 ne peut évoluer que dans deux directions : soit, dans le sens de la révision ; soit, dans celui de l’abrogation.
S’agissant de la révision, la Constitution de 2002 contient un titre 18 qui porte sur la révision et qui précise quelles sont les instances habilitées à initier la révision des articles non verrouillés et quelles sont les matières exclues du champ de la révision constitutionnelle. Elle autorise en son article 86, le président de la République à organiser un référendum, pour réviser des articles dont les matières ne sont pas exclues du champ de la révision.
Par exemple, si le président de la République veut se donner le pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale ou s’il veut lui donner plus de pouvoir, il lui suffit simplement de réviser l’article 114 qui dispose : « le président de la République ne peut dissoudre l’Assemblée nationale. L’Assemblé nationale ne peut démettre le président de la République ». Il n’a pas besoin de changer de Constitution pour obtenir ce résultat. De même, s’il veut supprimer la limitation de l’âge pour être autorisé à être candidat à l’élection présidentielle, il lui suffit de réviser l’article 58 qui n’est pas un article verrouillé. L’âge n’est pas une matière exclue du champ de la révision. Si le président de la République veut avoir un premier ministre, il lui suffit de réviser l’article 74 qui dispose : « Le Président de la République nomme les ministres qui ne sont responsables que devant lui. Il met fin à leurs fonctions. Il fixe, par décret, les attributions de chaque ministre. Il peut déléguer une partie de ses pouvoirs à un ministre ».
S’agissant de l’abrogation, nous l’avons dit, écrit et répété : si la Constitution congolaise de 2002 contient des dispositions relatives à sa révision, elle ne prévoit rien pour son changement. Dans ces conditions, si l’on veut comme le président de la République s’emploie à le faire, promouvoir une nouvelle Constitution, il faut d’abord commencer par abroger celle de 2002, actuellement en vigueur, car, dans le domaine du droit, une disposition qui n’est pas abrogée demeure valable. Or, toute abrogation de la Constitution de 2002 entraîne automatiquement la dissolution de toutes les institutions constitutionnelles actuelles. Prétendre comme le fait le pouvoir, qu’on peut promouvoir une nouvelle Constitution en jetant purement et simplement la Constitution en vigueur à la poubelle, c’est commettre un coup d’état constitutionnel.
Ainsi donc, la question posée par le président de la République dans le second thème du dialogue est sans objet, car, d’une part, le chef d’Etat n’a pas besoin d’organiser un dialogue pour réviser des articles non verrouillés de la Constitution, d’autre part, la Constitution actuelle ne reconnait aucune prérogative (article 86) au président de la République ou au Parlement, pour organiser un référendum sur le changement de Constitution. Maintenir le point sur la réforme des institutions de la République, c’est faire du dialogue un référendum déguisé sur la question suivante : « souhaitez-vous oui ou non que la Constitution de 2002 soit changée ? ». Du reste, le décret n°2015-658 suscité, qui prévoit à l’ordre du jour, « la réforme de institutions » entendez, le changement ou non de la Constitution de 2002, est très clair à ce sujet.
Par ailleurs, le message du président de la République évacue de l’ordre du jour la question cruciale des urgences sociales, c’est-à-dire ce que le chef de l’Etat lui-même a appelé « les préoccupations quotidiennes et permanentes des populations », pourtant soulevées, à l’entendre, lors des consultations. Comment comprendre dès lors qu’il n’ait pas cru nécessaire d’inscrire dans l’ordre du jour ces questions relatives au vécu quotidien des populations pour ne se focaliser que sur l’évolution des institutions ? Comment comprendre qu’il ait exclu de l’ordre du jour, les problèmes liés à la crise multiforme et multidimensionnelle que connait le pays : la question nationale, la réconciliation nationale et la gouvernance parfois décriée par lui-même, mais jamais résolue ?
3- De la commission préparatoire du dialogue
Après avoir inscrit dans l’ordre du jour du dialogue, la question controversée du changement de Constitution, le président de la République a nommé une commission préparatoire du dialogue de 39 membres, recrutés uniquement parmi les responsables du comité central du PCT et des partis satellites. Sur cette longue liste, il n’y a pas un seul représentant de l’opposition. C’est une véritable provocation.
En agissant de la sorte, le président de la République cherche à aiguiser les contradictions entre le pouvoir et l’opposition, pour se donner le prétexte de justifier son passage en force, en vue d’organiser un référendum sur le changement de Constitution, et ce, aux fins de briguer un troisième mandat illégal. Ce faisant, le président de la République veut embraser le pays. Pourtant, dans son discours convoquant le dialogue, il a déclaré : « voilà donc ce qui est attendu du prochain dialogue : qu’il fasse de telle sorte que le Congo aplanisse ses contradictions, dans la paix. Toujours dans la paix. »
Mais de quelle paix le président de la République parle-t-il, lorsqu’il exclut de la préparation du dialogue, l’opposition qui depuis 2009 n’a cessé de l’inviter à convoquer un dialogue politique national, pour sortir le Congo de la crise multidimensionnelle qui le traverse de part en part ? Le Congo est un patrimoine commun à tous les Congolais. Il n’est pas la propriété privée d’une famille, d’un clan, d’un parti ou d’une coalition de partis.
De quelle paix le président de la République parle-t-il lorsque chaque Congolais sait qu’il procède actuellement à un recrutement militaire à l’insu du Haut commandement de l’armée, dans tous les districts de la partie nord du Congo ? Les 500 nouvelles recrues de Brazzaville s’entraînent actuellement sur les collines de Lifoula dans la banlieue nord de Brazzaville, tandis que les recrues de la partie nord sont cantonnées, les uns dans le camp de Tsambitso à proximité d’Oyo, les autres, au centre d’instruction de Bilolo à Djiri (banlieue nord de Brazzaville) et attendent des directives.
De quelle paix le président de la République parle-t-il, lorsque dans le même temps, selon des informations diffusées sur internet, le pouvoir recrute à tour de bras, des tueurs à gage, tel ce commando composé de 120 centrafricains anti-balaka, logés dans des hôtels de Brazzaville et chargé de suivre et d’agresser les opposants congolais ?
De quelle paix le président de la République parle-t-il, quand, toujours selon les informations diffusées par internet, le terroriste burundais qui a abattu froidement récemment à Bujumbura devant son domicile, un responsable de l’opposition burundaise, est actuellement dans nos murs sous bonne garde, pour accomplir dans les prochains jours des actes terroristes contre les leaders de l’opposition congolaise ? Comme on peut le constater, la paix dont se gargarise le président de la République n’est que de la poudre aux yeux. Dans les faits, le chef de l’Etat prépare une nouvelle guerre fratricide au Congo.
4- Des propositions pour une organisation apaisée du dialogue
Aujourd’hui, la stabilité politique, la paix civile et la sécurité du peuple sont gravement menacées par le pouvoir. Il y a du côté du président de la République, une volonté manifeste de passer en force. Le Congo a besoin d’apaisement et non pas d’incendie. Il a besoin des pompiers et non pas de pyromanes.
Depuis 2009, l’opposition appelle à un vrai dialogue politique entre les filles et les fils du Congo. Ce dialogue, nous le voulons consensuel et apaisé. Il n’appartient pas au président de la République de nommer les membres de la commission préparatoire du dialogue, ni de définir son ordre du jour, de fixer sa date, sa durée, son thème et d’en sanctionner les conclusions. Le dialogue que propose le président de la République ressemble à s’y méprendre à ceux de Brazzaville en 2009, d’Ewo en 2011 et de Dolisie en 2013. Une fois le dialogue convoqué par le président de la République, il revient à la classe politique de se réunir pour mettre en place, une commission préparatoire, composée de façon paritaire des représentants de la mouvance présidentielle, de l’opposition, des autres partis, des vraies associations de la société civile et des personnalités indépendantes de l’intérieur et de la diaspora.
Pour rappel, le peuple congolais a fait l’expérience de cette procédure, et le président Sassou Nguesso, chef de l’opposition à l’époque le sait très bien.
En effet, en mai 1996, la classe politique congolaise, sous la présidence de Pascal Lissouba a adopté un Accord–Cadre pour le recensement administratif spécial dans la perspective de l’organisation consensuelle et apaisée de l’élection présidentielle de 1997. Cet accord prévoyait la parité entre la mouvance présidentielle et la mouvance oppositionnelle, un statut d’observateur pour les organisations de la société civile et la neutralité pour l’administration publique, civile et militaire. Les membres du gouvernement étaient tenus à l’obligation de réserve et au devoir de neutralité.
Toujours dans le souci de la tenue d’élections consensuelles et apaisées, le Collectif des partis de l’opposition congolaise rappelle qu’aussi bien en 1993 à l’occasion des élections législatives anticipées, qu’en 1997 à la veille de l’élection présidentielle, la classe politique a eu à bénéficier de l’arbitrage de la communauté internationale, à savoir : l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et l’UNESCO, en la personne de FEDERICO MAJOR, son secrétaire général. Doit-on encore rappeler qu’à la veille de l’élection présidentielle de 1997, monsieur Denis Sassou Nguesso avait entrepris un lobbying tous azimuts, notamment en direction du président français, Jacques CHIRAC, du président des USA, Bill Clinton, de Nelson MANDELA et de l’Union Européenne, en vue de les mettre en garde contre « la parodie électorale en préparation et les dangers qu’elle faisait courir au Congo ». Il invitait, on le voit, la communauté internationale à veiller « au bon déroulement de cette élection, en particulier lors des opérations du recensement et d’établissement des listes électorales qui en sont les préalables indispensables » (cf. André SOUSSAN, un homme d’honneur).
Pour le Collectif des partis de l’opposition congolaise, la commission préparatoire devra être chargée de :
- définir l’objectif général et les objectifs spécifiques du dialogue ;
- élaborer le projet d’ordre du jour ;
- élaborer le projet de calendrier de déroulement des travaux ;
- proposer le nombre, le statut et la liste des participants ;
- proposer la composition du présidium, du secrétariat et de la police des travaux ;
- élaborer le projet de règlement intérieur du dialogue ;
- élaborer un avant-projet d’accord-cadre ;
- élaborer un projet d’engagement solennel à respecter la parole donnée et les engagements pris.
Nous invitons le président de la République à bien vouloir prendre en compte les préoccupations de bon sens et de sagesse du Collectif des partis de l’opposition congolaise, car, un dialogue n’est ni un monologue, ni un diktat. Il est un échange équitable de points de vue. Cet échange débouche toujours sur un compromis dynamique qui concilie des positions opposées au départ.
Nous rappelons que dans son message à la nation, le président de la République a indiqué que le dialogue doit déboucher sur « un indispensable consensus sur les questions à l’origine des profonds désaccords au sein de l’opinion nationale ». Nous l’invitons à bien vouloir accorder ses actes à ses paroles et à respecter la parole donnée.
Par ailleurs, nous proposons que la date du dialogue soit décalée et que le dialogue se tienne à Brazzaville avant la fin du mois d’août 2015 sur deux points:
1- la gouvernance électorale ;
2- les préoccupations quotidiennes et permanentes des populations.
En conséquence, nous prions monsieur le président de la République de bien vouloir annuler tous les décrets cités supra et d’inviter toute la classe politique à s’asseoir, pour définir ensemble, les modalités pratiques d’une organisation apaisée et consensuelle du dialogue national inclusif.
Nous invitons la communauté internationale en général, l’ONU, l’UA, l’UE, l’OIF, les USA, la France, la République Sud-Africaine et l’Angola en particulier, à s’investir dans la recherche des solutions pacifiques pour éteindre le feu qui menace de brûler le Congo, par l’entremise d’une médiation qui aujourd’hui s’impose plus que jamais.
Fait à Brazzaville, le 05 Juillet 2015
Pour le Collectif
Lien de la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=VHm-2TxQ4vY#t=25