Par :  Pascal MALANDA

Avec ou sans Sassou, sous Sassou ou après Sassou le Congo est condamné au dialogue et la diaspora est obligée d’apporter sa contribution.

Depuis un certain temps, le mot dialogue ne cesse de déclencher dans la diaspora congolaise une effervescence quasi irrationnelle. L’apothéose semble avoir été atteinte par la vidéo de notre compatriote Marcel Makomé. Point besoin ici de revenir sur le contenu de ce message qui a été commenté en long et en large. Quelques questions toutefois demeurent : Faut-il ou non aller au dialogue et si oui à quel dialogue et dans quelles conditions ?

Qui peut aujourd’hui oser nier que le pouvoir de Brazzaville est dans une grande impasse ? Après avoir changé la constitution qui le gênait, après avoir gagné une élection présidentielle ni libre ni transparente, le pouvoir se retrouve englué dans une crise institutionnelle sans fin. Comme si cela ne suffisait pas, une crise économico-financière gravissime est venue exposer le niveau de corruption et de mauvaise gouvernance d’un régime déjà condamné par l’histoire. Quel gâchis pour un pays qui avait tout pour réussir, mais se retrouve aujourd’hui à quémander auprès du FMI un improbable plan d’ajustement structurel. La lenteur des négociations avec le FMI hypothèque même la survie du Franc CFA et de la CEMAC. Que dire des 20 milliards de dollars du fonds pour les générations futures ? La moitié de ce fonds dont on parle trop peu au Congo comme par une sorte de pudeur, aurait suffi pour rembourser l’intégralité de la dette congolaise qui s’élève officiellement à 9 milliards de dollars, tandis que l’autre moitié aurait permis de relancer en la diversifiant l’économie nationale trop dépendante du pétrole. A-t-on encore aujourd’hui besoin de prouver la faillite de l’Etat ? Les acteurs de cette faillite ne sont-ils pas tous connus ?

Le sombre tableau dressé ci-dessus n’est que partiel car il faut y ajouter la violence inouïe qui a écrasé le peuple congolais en général et la population du Pool en particulier. D’aucuns ont, à tort ou à raison parlé d’un génocide des Laris. C’est dans ce contexte sulfureux que le pouvoir qui a longtemps refusé la main tendue de l’opposition pour un dialogue inclusif découvre brusquement les vertus de la négociation. Cela suffit largement à susciter la suspicion généralisée de la grande majorité des Congolais. Sauf que, cette fois, le pouvoir habitué à rouler ses contradicteurs dans la farine se trouve pris dans son propre piège. Quel crédit en effet accorder à l’organisateur des dialogues d’Ewo, de Dolisie, de Sibiti etc. ? Dos au mur, le pouvoir se retrouve dans la position de l’arroseur arrosé obligé de négocier avec ceux qui, il y a peu, il tenait pour des importuns. Après avoir négocié avec Ntumi qu’il traitait hier de terroriste, voici venu le temps de s’asseoir à la même table que l’opposition. Le rapport de forces aurait-il désormais basculé en faveur de la vraie opposition ? D’où le dilemme auquel cette dernière doit faire face : Dialoguer ou pas ? Autant le pouvoir a jusqu’ici joué l’essoufflement de l’opposition en attendant un redressement de la situation financière du pays, autant l’opposition est aujourd’hui tentée de jouer le pourrissement. En effet, nombreux sont ceux qui pensent que la crise conduira inévitablement et très bientôt à une insurrection populaire salutaire d’où l’empressement du pouvoir à vouloir négocier. Et accepter de négocier dans ces conditions revient à sauver un régime condamné ou à soutenir un fruit mûr qui n’attend qu’un petit vent pour tomber.

Le temps, allier ou adversaire de Sassou ?

En « remportant » les élections de juillet 2016, Sassou croyait pouvoir se donner quelques mois pour calmer la fronde, stabiliser la situation, préparer son fils pour 2021. Deux ans et demi après sa ‘’victoire’’ sans péril et son triomphe sans gloire, comme le dit si bien Corneille dans le Cid, l’horizon 2021 qui semblait si lointain avance au contraire à pas de géant. Si on retire du compte l’année électorale qui commencera en juillet 2020, il ne reste plus que 18 mois à Sassou. Et encore…Comme il a temporairement échoué à mettre son fils en orbite pour 2021, il est contraint soit de rempiler, soit de se trouver un successeur fiable, tout cela au risque de déclencher une véritable guerre de succession dans sa famille biologique ou politique.

« Le dialogue et la mort » ou « le dialogue ou la mort » ?

Il y a une troisième variante à cette équation que devrait résoudre Marien Ngouabi : « Le dialogue après la mort ». Oui, à force de reporter le dialogue, on peut mourir avant la tenue de ce dernier. J’imagine alors la situation inconfortable d’un patriarche qui tire sa révérence avant d’avoir réglé sa succession. Malheureusement, au Congo, le dialogue est trop souvent synonyme de mort. Ce n’est pas Marien qui le démentira, lui qui a été trucidé pour avoir voulu dialoguer avec son prédécesseur Massambat-Débat. Ce n’est pas non plus Sassou qui le démentira, lui que la Conférence National avait copieusement soupçonné d’avoir trempé dans la mort de son mentor. Oui, au Congo le dialogue est souvent mortel au point où, au nom du dialogue de nombreux membres de la diaspora sont menacés de mort. Les réseaux sociaux bruissent de la paranoïa selon laquelle le dialogue ne serait qu’un grossier traquenard dans lequel le pouvoir voudrait attirer ses opposants les plus virulents et réfractaires afin de les assassiner ou de les empoisonner et les laisser mourir à petit feu. Elucubrations ou craintes justifiées, notre « vivre ensemble » est un échec total.

La diaspora est-elle le messie du Congo ?

Nul doute que la situation du Congo ne se résoudra qu’au Congo par les Congolais. Toutefois, il serait irresponsable de sous-estimer le poids de la diaspora dans le dénouement de la crise actuelle. D’abord parce que la diaspora a largement contribué par son action de lobbying à fermer les vannes financières qui auraient pu arroser l’économie moribonde du Congo et lui faire passer le cap difficile de la crise. Mais surtout parce que sur toute l’étendue du territoire national de nombreux Congolais se sont mis à rêver que le salut viendra de l’extérieur. Fatigués par la corruption endémique de la classe politique nationale, ils se sont mis à croire qu’un oiseau rare et pur, un chevalier aux mains propres viendrait de l’étranger renverser la table de jeux qu’est devenu le Congo, nettoyer les écuries d’Augias et remettre le Congo sur les rails avec une nouvelle classe politique intègre.

La diaspora responsable doit commencer par balayer devant sa porte

Oui, la diaspora a un rôle crucial à jouer dans le redressement du Congo. Combien de nos compatriotes bardés de diplômes piaffent d’impatience d’aller contribuer à la renaissance de ce pays aux richesses humaines et naturelles colossales ? Combien de nos compatriotes saturés de haine rêvent d’aller buter des ‘’usurpateurs sous-qualifiés et incompétents’’ qu’ils enverront volontiers en exil éternel à défaut de les enterrer vivants pour assouvir leur soif de vengeance ? Combien de nos compatriotes sont prêts à un vrai dialogue des cœurs pour transcender nos divisions et aspirer à une vraie unité nationale ?

Le dialogue de la diaspora avant le dialogue national

La diaspora est un concentré du Congo. Les divisions, les déchirements, les injures qui la minent aujourd’hui sont les mêmes qui ruinent le Congo. En un sens, on pourrait dire que la diaspora est une image du Congo dans un miroir souillé et contaminé par les maux qui minent le pays. D’où cet appel peut-être utopique à un vrai dialogue de la diaspora dans les plus brefs délais afin de dégager une position consensuelle à défendre au cours d’un dialogue national.

Soyons responsables. Nous ne pouvons pas exiger un dialogue sans exclusif à Brazza et ériger l’exclusion comme mode de fonctionnement à Paris. Nous ne pouvons pas fustiger la corruption et l’achat des consciences à Brazza et se complaire dans les mêmes travers à Paris. Nous ne pouvons pas dénoncer le tribalisme au Congo et passer la journée à injurier les Mbochis et les Kongos à Paris.

Soyons responsables. Nous ne pouvons pas refuser l’argent du contribuable congolais pour organiser un pré-dialogue à Paris et refuser en même temps d’apporter notre contribution financière afin de garantir l’autonomie décisionnelle d’une concertation inclusive de la diaspora.

Oui, un pré-dialogue de la diaspora s’impose dans les plus brefs délais. Janvier serait un mois idéal car début de l’année 2019 donc nouveau départ, permettant ainsi à décembre 2018 de préparer le terrain à cette vaste concertation tant souhaitée mais si redoutée. Février ou mars serait alors le mois de la concertation nationale à laquelle la diaspora prendrait part en bon ordre et avec des exigences réfléchies et largement consensuelles.

Sur le plan pratique, les têtes d’affiche, bêtes noires du pouvoir que sont Marc Mapingou, Andréa Gombet, Roland Nitou, Guy Mafimba, Ouabari Mariotti, Modeste Boukadia, etc. pourraient bien s’associer aux membres des Assises qui avaient déjà réuni une pétition regroupant plus d’une centaine de noms. La liste pourrait être élargie à d’autres pour atteindre un nombre qui constituera une base de travail solide. Les medias de la diaspora tels que Congo liberty, Zenga mambu, Brazzanews, Congopage, Ziana TV, Aristide Mobebissi, Bob Ebaka etc. pourront apporter leur contribution dans la préparation rapide du projet. Le reste sera une question technique : comment financer le projet, comment assurer la représentativité, comment garantir la sécurité des délégués au dialogue national etc.

On peut utiliser Sassou pour préparer l’après-Sassou dans un dialogue franc. Si nous avons pu tenir une Conférence Nationale Souveraine, rien ne nous empêche de refaire l’expérience sous une autre forme et sans tomber dans les travers passés. Quant à Sassou, même si chat échaudé craint l’eau froide, il n’a aucune raison de se cabrer face à un peuple souverain capable de dépassement. Pour cela il lui suffit de montrer une fois au Congo que le dialogue n’est pas forcément synonyme de mort pour les autres et donc par ricochet pour lui-même.

Pascal Malanda

LE CONGO ETERNEL