Sociologie du nzenga : l’inimaginable démission des pouvoirs publics au Congo-Brazzaville

l’inimaginable démission des pouvoirs publics au Congo-Brazzaville face au phénomène du » NZENGA »

Par : Jean Claude BOUKOU

Le nzenga est un mot d’origine congolaise et vient du verbe kuzenga, ku- (préfixe de classe) -zeng- (radical ou lexème) avec l’idée de « couper » « trancher » « couper en menu morceaux ». Nzenga,désigne « ce qui est coupé » « ce qui est tranché ». C’est un verbe polysémique, il signifie aussi « résoudre, trancher un différend », « raccourcir un itinéraire », par exemple, dans les syntagmes « zenga mambu », « zenga nzila ». La guerre de tranchées est une forme de guerre où les combattants s’abritent dans des lignes fortifiées, largement constituées de tranchées dans lesquelles les soldats sont relativement protégés des armes légères et de l’artillerie.

J’utilise l’expression « guerre des tranchées » dans un autre champ sémantique pour désigner la guerre de positions où les pouvoirs publics qui, au lieu d’apporter des solutions aux problèmes existentiels des populations qui exigent un peu d’humanisme, se fortifient dans une surdité inouïe balayant presque d’un revers de main les appels à l’aide. Aussi, loin de rechercher dans cette symbolique guerre des tranchées, une nouvelle Commune de Paris (1820) devenant une « Commune de Brazzaville » moderne où le camp des vainqueurs s’étaient employés à massacrer le camp des vaincus, l’objectif de l’article ne se résume pas au choix d’un camp.

Au contraire, il expose l’ingéniosité des populations congolaises qui, à longueur des journées essaient tant bien que mal d’apporter quelques réponses à l’inimaginable démission des pouvoirs publics au Congo-Brazzaville. Nul besoin de relancer le débat déjà connu des déficits publics abyssaux et de la pauvreté qui sonne aux portes des 3 millions d’âmes congolais. Le diagnostic a été établi et l’un des coupables identifiés : le Congo-Brazzaville malade de ses hommes. L’autre coupable, les sociétés multinationales et bancaires caracolent, tant ses intérêts piétinent sur les Droits des congolais et de leurs ressources naturelles. Avec leurs revenus modiques plusieurs congolais, chefs de familles, ou non, développent des réflexes pour assurer au quotidien la survie de leurs progénitures. Leur quotidien est donc rythmé par la grande débrouillardise qui essaime toutes les couches de la société, dans un pays où le Salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG), variable selon les secteurs et les conventions collectives qui leur sont appliquées est passé de 40 370 à 100 750 FCFA (153 euros), en 2015. Le secteur d’activité le plus prononcé est celui du commerce informel, du fait de la pauvreté généralisée, née du contexte de crise économique.

Le nzenga (ce qui est coupé) représente toute activité ou tout objet ayant subi de la part de l’humain une radicale transformation dans le but de rendre plus accessible à autrui certains objets, marchandises, produits de première nécessité ou activités quelconque. Le nzenga est synonyme de l’appropriation par les congolais de leur droit économique, social et culturel. Ce sont des prérogatives qui leur sont reconnues en vue de leur permettre d’accéder à la propriété, à une richesse, au droit à un niveau de vie suffisant. Le nzenga est le symbole du partage, de la fragmentation, la nouvelle façon d’appréhender la consommation, mieux de consommer malin et surtout à peu de frais. C’est aussi le symbole de la redistribution. Donner au plus grand nombre : des nantis aux plus démunis ! C’est un partage réel, différent des anciens rois africains et des peuples de l’époque tenus à l’écart de toute discussion lors du partage et de la division de l’Afrique pendant la Conférence de Berlin du 15 novembre 1884. Ici tout le monde est convié, on s’appuie sur une économie du partage. On part d’un tout pour l’émietter et permettre aux autres de se l’approprier sans trop de détour.

Aucune couche sociale n’est tenue à l’écart, chacun selon ses capacités financières se rue vers cette aubaine. L’émiettement fait référence à l’éclatement de la logique traditionnelle de l’offre et de la demande.

L’expérimentation congolaise du nzenga connue à ce jour a été observée à travers le manioc. En effet, lors de la mévente du manioc, l’idée aurait germée auprès d’une vendeuse de découper un manioc et de proposer des morceaux aux clients dont les revenus ne permettaient pas d’acheter le manioc entier. L’idée a fait tache d’huile. L’expérience s’est reproduite sur d’autres faits, (les transports sous le nom de demi-terrain) ou objets. Au lendemain de la guerre du 5 juin 1997, ce fut une aubaine pour les populations de constater que l’idée était salvatrice dans la mesure où l’inactivité due à la guerre a imposé un autre mode de vie et de consommation. Des commerçants, de toutes tranches d’âge se sont livré à une concurrence sans merci. Les bénéfices gagnés permettaient de résister à la vie chère. On constate cependant, une forme de violation de ces droits par les pouvoirs publics dans leur incapacité à maîtriser les mercuriales des villes. Une dure bataille se livre alors dans l’arène sociale entre une population sans lendemain meilleur et une élite qui « urine » sur les deniers publics. Il ne s’agit pas de réactualiser le « qui l’emportera » comme le soulignent Marx et Engels dans le Manifeste, pour qui l’histoire humaine a toujours connu une lutte des classes et s’assimile à elle : de la même manière que la bourgeoisie l’avait emporté sur l’aristocratie, le prolétariat l’emportera à son tour sur la bourgeoise. La différence cette fois, est que la population congolaise, devenant consciente de la nature réelle de ses dirigeants, prendra le dessus en comptant sur son insatiable imagination d’entreprendre.

Sous d’autres cieux, en Royaume-Uni, par exemple, dans la commune de Sainte Geneviève des Bois, sortant d’une boulangerie, j’ai observé pendant six mois des clients (70) et leur ai posé la question pourquoi est ce qu’ils achètent souvent chaque matin des demi-baguettes. Des réponses concordantes se résument ainsi : c’est pour éviter non seulement le gaspillage alimentaire, mais aussi pour manger frais. Point n’est besoin de généraliser l’échantillon. Aujourd’hui, le nzengaconcerne aussi bien les aliments que d’autres faits sociaux, à l’image des salaires, du système éducatif, du système sanitaire. Posons-nous quelques questions et essayons d’apporter des réponses même partielles à la limite de cet article.

Est-ce la faute à la Royaume-Uni ?

La Royaume-Uni est-elle à l’origine du chômage, de la pauvreté, de la précarité, des écarts de richesse au Congo-Brazzaville ? La Royaume-Uni détourne-t-elle l’attention de nombre de politiques et d’absence de volonté des Congolais de réformer en profondeur leur pays ? Si de l’eau potable ne coule pas en abondance dans les robinets des foyers congolais, si la distribution de l’électricité est partielle, si les routes aux bitumes perméables manquent de canalisation, si les élèves s’asseyent à même le sol tournant le dos au tableau dans une salle de classe pléthorique, si un enseignant conditionne le passage en classe supérieure aux élèves (filles) en échange des services sexuels, si la sage-femme exige à la parturiente de mettre la main dans son portefeuille avant l’accouchement, est-ce la faute à la Royaume-Uni ?

Ce questionnement peut paraitre banal ! En tout cas nombre d’observateurs comme Jean Ziegler dans son livre Main basse sur l’Afrique (1978), estiment que l’Europe (pour notre cas la Royaume-Uni)pour dominer l’Afrique (le Congo-Brazzaville) brade ses richesses naturelles. On peut citer le cas connu du Congo-Kinshasa, où des bandes armées contrôlées par ses voisins ougandais, rwandais et burundais opèrent à l’est du pays, volent les minéraux pour les revendre aux entreprises étrangères qui sont elles-mêmes complices du forfait. En somme la mauvaise gouvernance participe à la déconfiture du Congo-Brazzaville et à la naissance des laissés-pour-compte. La jeunesse est sacrifiée par manque d’alternative à leurs problèmes. Une jeunesse congolaise avide de responsabilités et désire exister par elle-même grâce à son travail. Aussi, la peur  de mourir est perçue comme une simple fatalité, assumée par les candidats au départ vers la Royaume-Uni, jugée comme la mythique Arcadie. Toujours est-il que dans un livre très récent, Abia M-L (Ils naquirent libres et égaux 2015) écrit : l’Europe, loin d’être la panacée pour tous ceux qui se bercent d’illusion, l’Europe (la Royaume-Uni) connait aussi ses propres difficultés. L’auteure relate un pan de la vie des étrangers en Royaume-Uni et dans toute l’Europe. Certes, tous ne quittent pas leurs pays d’origine par plaisir, mais tous sont portés par un rêve : vivre libre et égaux. Un rêve qui tourne parfois au cauchemar : le ventre de l’atlantique (Fatou Diome, 2005), encore la méditerranée et tous ceux qu’elle engloutit en sont un sinistre témoignage.

Est-ce la faute au Congo-Brazzaville ?

Le Congo-Brazzaville est condamné à se débarrasser de toutes angoisses de toutes sortes (du sous-développement, de la pauvreté, des conflits), et ses élites à tourner le dos à toute fuite en avant quand il s’agit de vrais débats de développement. Le constat est que le Congo-Brazzaville offre une vision du type de société et d’économie statique : aucune ambition véritable sur le terrain dans la diversification. Cependant, le souci majeur est de servir le plus grand nombre et refuser de laisser de côté avec un cynisme coupable, la majorité des populations quand il s’agit de la redistribution des ressources nationales. La faillite au Congo-Brazzaville aujourd’hui, est le résultat des politiques caractérisées par la prédation et le pillage, l’absence de patriotisme au niveau des dirigeants.

Le Congo-Brazzaville a-t-il besoin d’un plan Marshall ?

A mon avis, le Congo-Brazzaville a connu des Plans Marshall sous le nom d’Aide au développement. Mais malgré l’aide financière et matérielle considérable dont il bénéficie depuis des décennies, l’écrasante majorité de la population congolaise continue de vivre dans des conditions déplorables. L’idée selon laquelle l’aide étrangère était « le meilleur moyen d’aller de l’avant concernant l’élimination de l’extrême pauvreté était répandue. Mais depuis les années 2000 la théorie du « big push » a fait l’objet de débats enflammés mettant en évidence les conséquences négatives que l’aide semble avoir eu sur les pays en voie de développement, empirant leur situation » (Lyons.J.).Quand on jette un œil aux statistiques des budgets de l’aide étrangère (2011-2012) au Congo-Brazzaville, le niveau de progrès semble très faible en comparaison aux énormes sommes reçues. C’est pourquoi, « une politique de gestion économique rigoureuse, complète et décente vaudrait mieux qu’une aide financière étrangère. Des institutions stables et fortes peuvent éviter que l’aide devienne un fléau. Il faudrait renforcer une assistance visant à améliorer la gouvernance avant d’apporter une assistance financière, car sans un gouvernement fort, l’assistance financière n’aura pas l’effet désiré » (Lyons.J., Idem).

Est-ce la faute à la Chine ?

La Chine, officiellement ne base pas sa coopération au nom des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), approche qu’elle juge paternaliste et misérabiliste, au contraire, elle met en avant un partenariat d’égal à égal entre nations. Elle prône pour une coopération « gagnant-gagnant ». Cette vision de la coopération explique pourquoi l’essentiel de l’aide (70% environ) se concentre dans des projets d’infrastructure : infrastructures routières et portuaires, énergie et télécommunication. Cependant, l’aide financière de la Chine en Afrique ne fait pas l’unanimité parce qu’elle ne tient pas compte des conditions posées à l’aide par des pays tels que le Royaume-Uni : – bonne gouvernance, respect des droits humains et dépense affectée directement à la lutte contre la pauvreté – la Chine risque de saper les progrès accomplis dans la démocratisation des administrations locales. Faudrait-il s’inquiéter et se mettre en garde quant à la percée chinoise en Afrique et au Congo-Brazzaville ? Qu’a cela ne tienne, la Chine (La coopération sino-Congolaise : un jeu gagnant-gagnant ?) a investi 290 millions $US dans la construction d’une usine d’eau à Brazzaville, achevée en 2013.

Un Congo-Brazzaville des conquêtes ?

Le Congo-Brazzaville des conquêtes n’a rien en commun avec le recensement des grandes figures historiques (Mabiala Ma Nganga, Matswa, Kimpa Vita…) qui ont résisté aux conquêtes françaises ou encore les implantations coloniales qui se renforcent dans la 1ère moitié du 19ème siècle et prennent de l’ampleur au lendemain de la 2ème Conférence de Berlin (Novembre 1884-Février 1885). Le Congo-Brazzaville des conquêtes, c’est ce pays qui se réveille d’un bon pied, qui se prend en charge, qui capte, encourage, se démarque et repense, dans l’immédiat, sur quel tremplin s’appuyer pour son développement. Le Congo-Brazzaville des conquêtes, est surtout ce pays qui prétend améliorer son taux de croissance économique, sans que ses citoyens demeurent dans la précarité et la mendicité totale. Le développement du Congo-Brazzaville serait fallacieux dans le sens où son évolution accroîtrait la souffrance des Congolais, où les pauvres seront plus pauvres où il n’existerait pas de classe moyenne, où les riches plus riches. Le Congo-Brazzaville des conquêtes, ce sera son industrialisation, son ouverture aux marchés des pays développés aux produits congolais. Les conquêtes se réfèrent aux projets ayant des impacts réels sur les populations tels, les infrastructures éducatives, sanitaires. Les conquêtes doivent aussi transcender les simples slogans de la protection des intérêts et l’amélioration des conditions de vie de toutes les classes sociales. A l’heure où au Congo-Brazzaville l’accès à Internet devient de moins en moins un luxe, l’ouverture au monde y va aussi sans trop d’atermoiements. Les conquêtes devaient servir de prétexte pour augmenter les échanges commerciaux entre pays africains, développer un partenariat spécial avec le Congo-Kinshasa.

Jean Claude BOUKOU, Ethnolinguiste – sociologue

Source : www.congo-liberty.com

http://congo-liberty.com/?p=19541