Rémy Ayayos, on ne le présente plus. Il est le président du club AC-Léopards de Dolisie qu’il a sorti des profondeurs abyssales du football congolais. Deux fois engagé en un temps record dans les compétitions continentales de la CAF, l’AC-Léopards peine à trouver sa voie glorieuse à ce niveau. La rédaction s’est rapprochée du président de ce club, qui s’est confié à elle.
Monsieur le président, bonjour. Depuis quelques temps, l’équipe que vous avez l’insigne honneur de diriger, j’ai cité l’A C Léopards, caracole au sommet du football congolais. Quelle est votre recette?
Rémy Ayayos: Merci Mr le journaliste, pour l’attention que vous accordez à l’évolution de notre club. Je suis à la tête de l’A C Léopards et pour répondre à votre question, je vais dire, comme dans plusieurs domaines du sport, il n y a pas de recette miracle, il n y a pas de panacée, mais il y a seulement une ambition qui doit être soutenue par des moyens conséquents. Pour parler notamment de l’Athlétic Club Léopards, nous avons nourri des grandes ambitions pour ce club et nous nous efforçons de trouver les moyens humains, matériels et financiers pour concrétiser le suivi de cette ambition.
On sent chez vous la volonté de porter haut le football congolais dans les rencontres de la confédération, à travers notamment votre équipe A.C. Léopards. Malheureusement, il y a encore des embuches dès les premiers tours de la compétition. Comment comptez-vous y remédier? Les années à venir?
Rémy Ayayos: Je vais commencer par dire que nous Congolais, ne devons pas souffrir de complexes quand nous allons en compétition africaine, parce qu’il y a déjà eu un club congolais qui a remporté cette compétition. Je veux parler du Club Athlétic Renaissance Aiglon (Cara). Cela veut dire que les Congolais, avec beaucoup de volonté peuvent reconquérir l’Afrique. Nous, A.C. Léopards avons participé déjà à deux reprises à la compétition africaine. A ce niveau assez relevé, il faut le reconnaitre, nous avons rencontré des adversaires de qualité. Nos deux échecs nous ont enseigné énormément de choses, ont apporté de l’expérience au groupe et aujourd’hui nous pensons que nous sommes plus aguerris pour affronter cette campagne africaine et nous sommes aussi sûrs de nous, parce que l’ambition doit sous-tendre tout projet et nous sommes particulièrement convaincu que la prochaine fois nous ferons mieux.
Vous avez certainement suivi les dernières péripéties de l’affaire des quotas dans les centres de formation des footballeurs en France, comment réagissez-vous par rapport à ce problème?
R.A: Je vais d’abord analyser cette question par rapport au contexte franco-français et puis essayer de l’observer en le projetant dans le contexte congolais. En première analyse, on peut dire que c’est un faux problème parce tous ces jeunes qu’on veut indexer, ont évidemment la double nationalité, bénéficient de l’encadrement des structures françaises, comme tous les jeunes qui sont en France dans plusieurs disciplines, même extra sportives. Mais, il est aussi établi que généralement les meilleurs d’entre eux, vont en équipe de France. Et ce sont ceux qui n’ont pu être retenus en équipe de France, qui reviennent vers leurs pays d’origine, et qui pensent qu’en dehors de l’équipe de France, ils peuvent et ont le droit de faire une carrière internationale. Il leur reste l’alternative de jouer dans leur pays d’origine, enfin les pays d’origine de leurs parents. Et vous constaterez que dans l’équipe de France, ceux qui sont brillants, retenus en équipe de France, rarement se sont défilés pour retourner dans leur pays d’origine.
Maintenant, je ne vais pas revenir sur les maux qui ont été fustigés, quant on a parlé facilement de racisme etc. Ce débat avait quelque part une connotation pernicieuse. Pour revenir au Congo, je peux affirmer que nous avons aussi ce débat sous une autre forme. Il se présente comment?? Doit-on aujourd’hui qualifier énormément d’étrangers pour limiter le nombre d’étrangers à un quota très restreint pour laisser les jeunes congolais s’exprimer?? Là, il y a deux sons de cloches, deux visions qui s’affrontent. Il y en a, comme moi, qui pense qu’il faut laisser la concurrence jouer. Des pays comme le Gabon ou l’Angola qui étaient inférieurs à nous, dans le football par exemple, pour ce sport que je connais le mieux, ont fait un bond extraordinaire parce qu’ils ont ouvert leur football à plusieurs vents. Plusieurs joueurs de nationalités diverses ont évolué dans leurs championnats. Le niveau s’est élevé et ils en récoltent aujourd’hui les fruits. De l’autre côté du fleuve, vous voyez le tout-puissant Manzembé dont tout le monde parle, dont tout le monde est fier, quand vous voyez le nombre de joueurs qualifiés, il y a énormément de joueurs qui ne sont pas originaires de la RDC, mais qui apportent un plus. Laissez les jeunes congolais se frotter aux étrangers et de cette manière, ils vont se bonifier. La vision actuelle de la fédération et du ministère est de limiter le nombre d’étrangers à 3.
Cette affaire concerne bien sûr la jeune pépinière. Que vous inspire t-elle, la jeune pépinière?
R.A: Là déjà je peux dire mon admiration à la vision du président de la République, qui avait pensé nous donner l’exemple en créant le centre de formation du stade Alphonse Massamba-Débat. Sa vision s’est montrée particulièrement brillante. Quelques mois après l’ouverture de ce centre, nous avons remporté la coupe d’Afrique des juniors. Un an après, nous avons remporté la coupe de la francophonie. Et aujourd’hui, nos jeunes cadets s’illustrent au Mexique de façon alléchante.
Si je vous comprends bien, nous devons évoluer vers des petits centres de formation dignes de ce nom pour les 12-14 ans, les 15-17 ans etc., pour l’élévation du niveau de notre football?
R.A: Absolument, c’est une condition sine qua non. Nous devons adopter les méthodes qui ont marché dans d’autres pays.
Mais la vigilance doit être de mise. Vous vous rendrez bien compte, il y a deux décennies lorsqu’on a ouvert l’enseignement public au privé, il y a eu plusieurs aventuriers qui se sont lancés dans ce «commerce» en ouvrant des complexes scolaires qui ne remplissaient pas les critères requis. Alors, il ne faut pas non plus qu’on nous amène dans le sport, des centres qui ne répondent pas aux critères internationaux et modernes. Pour les jeunes qui sont mineurs, ils doivent continuer à être scolarisés. Il faut donc des filières sport-études. Il faut des salles de classe, des aires de jeux, des réfectoires, des dortoirs, des douches et toilettes etc. Ce sont d’énormes investissements et je pense que plusieurs congolais ont la capacité aussi bien financière que managériale pour gérer ce genre de projet.
Justement à ce propos, que vous inspire l’audience que le chef de l’Etat a accordée au président du club de l’A.J Auxerre et à l’ancien entraineur de ce club, Mr Guy Roux, qui sont actuellement à Brazzaville?
R.A: L’A J Auxerre doit déjà être félicitée, parce que le football congolais lui doit beaucoup. Pour la petite anecdote, nous avons aujourd’hui notre jeune compatriote Delvin Ndinga qui évolue brillamment dans ce club. L’A.J. Auxerre a déjà collaboré avec notre centre de formation, a dépêché M. Eddie Hudanski qui s’est montré formateur compétent, et il aime le Congo, il faut le dire maintenant. Je pense que l’A.J. Auxerre peut continuer à apporter énormément à notre football, en sachant que plusieurs de nos jeunes talents peuvent déjà avoir à l’esprit la possibilité d’entrer dans le football professionnel par l’A.J. Auxerre. Évidemment, il peut y avoir d’autres clubs, mais l’A.J. Auxerre est déjà proche de notre pays. Et d’ailleurs nos jeunes cadets, pour se préparer pour la coupe du monde du Mexique, sont partis à Auxerre et ont livré des matchs qui ont aguerri l’équipe. Aujourd’hui, j’invite tous les dirigeants de football à commencer à installer la formation comme il y a trois décennies, quand chaque grand club avait l’obligation d’avoir une équipe junior et une équipe cadette.
Quelle que soit l’issue de l’actuelle coupe du monde des moins de 17 ans qui se déroule actuellement au Mexique, le Congo a triomphé des Pays-Bas, champion en titre et a fait match égal avec la Corée. Ne peut-on pas dire qu’il y a là, du potentiel chez les Congolais, qui ne demande qu’à être mis en valeur?
R.A: C’est une évidence pour nous qui vivons dans les quartiers populaires, et qui avons l’avantage de connaitre très tôt ces gamins et de les encadrer sur des terrains de fortune. Tous les dimanches et même tous les jours, on est émerveillé par le talent de ces gamins. Je pense que Dieu a planté le talent dans tous les quartiers de Brazzaville et dans toutes les villes du Congo.
Cependant, les conditions de leur éclosion doivent être assurées. C’est un travail d’ensemble. Tout le monde doit s’impliquer?: les pouvoirs publics, la fédération, les parents, les dirigeants. Et j’appelle tout le monde à mettre la main à la pâte.
Nous avons lu dans la presse que vous étiez sur le point de doter votre équipe A C Léopards d’un siège à Dolisie. Qu’en est-il exactement?
R.A: Je peux vous confirmer que nous avons acheté un premier terrain à quelques cent mètres du stade Denis Sassou N’Guesso de Dolisie, que nous avons légué à A C Léopards. Sur ce site sera construit le siège administratif de l’A-C Léopards. Parmi les plaies de notre football, il y a la mauvaise administration. Vous vous souviendrez, il y a deux ans, nous avons connu des démêlées avec l’Etoile du Congo parce qu’il y avait une mauvaise administration qu’on devait épingler. Demandez et vous pouvez mener votre propre enquête?: les licences des joueurs sont dans les domiciles de certains dirigeants, et on attend le dimanche pour aller les présenter au stade. Il n y a pas d’archives dans les clubs. Il n y a pas de siège qui puisse abriter une administration conséquente. C’est la raison pour laquelle Manzembé a connu sa récente élimination à l’actuelle compétition africaine. Il y a un problème d’administration qui se pose dans les clubs africains. Et vous constaterez qu’au Congo, il n y a pas un club qui ait son siège administratif où on peut stocker les archives, le matériel et les emblèmes, bref tout ce qui concerne le club. Nous travaillons à réaliser cet ouvrage dans un délai d’un an. D’autre part, nous avons également promis doter le club d’un complexe sportif, c’est-à-dire des aires de jeux, des stades d’entraînement bien équipés et agencés selon les règles de l’art moderne. Les terrains sont acquis dans la banlieue de Dolisie, les titres fonciers délivrés au nom de l’A.C. Léopards et en ce moment, nous sommes entrain de contacter certains partenaires étrangers pour la réalisation de ce projet.
Le football de nos jours a pris des allures, ou est devenu un véritable business au niveau international qui brasse beaucoup d’argent. Qu’en pensez-vous?
R.A: C’est vrai, il y a des chiffres mirobolants qui circulent dans le monde footballistique. Cependant, je veux dire que c’est un problème ambivalent. D’une certaine manière, c’est positif parce que les acteurs trouvent leur compte. Je parle surtout des joueurs. Vous vous souviendrez il y a 25 ans, votre illustre collègue, paix à son âme, Jean Gilbert Foutou, avait une rubrique à la télévision «Que sont-ils devenus?». Dans cette rubrique, il présentait les vieilles gloires de notre football. La majorité des Congolais était choquée de remarquer que des gens qui avaient beaucoup à la Nation, qui s’étaient vraiment sacrifiés, demeuraient dans un état d’indigence criard. Aujourd’hui que le football nourrit très bien son homme, on ne peut que le saluer. Par contre dans notre pays, il faut que nous introduisions la notion de transfert à dose homéopathique, parce que vous avez vu, nombreux de nos enfants qui ont gagné la Can juniors, ne sont même plus sur la scène du football. Une fois qu’ils ont connu certaines sommes, ils n’ont plus eu la même volonté, la même fougue, cette rage de réussir et ça crée parfois des déceptions que nous pouvons remarquer dans les quartiers. L’argent aussi, vous pouvez le remarquer en début de saison, lorsqu’un congolais touche sa prime de signature, il devient quasiment «fou». Au lieu de travailler et donner satisfaction à son employeur, donc à son club, non, avec cet argent, il se livre plutôt à des loisirs que je qualifierais de destructeurs, peu recommandables pour un sportif.
Un dernier mot?
R.A: Tout le monde parle du redressement du football. Mais, il ne se fera pas sans la construction et l’animation des centres de formation. Pour les pouvoirs publics, la fédération, et les dirigeants des clubs, nous espérons que nous continuerons à avoir l’énergie, la volonté et la flamme allumée pour parvenir à sortir le football congolais de l’ornière.
Roger Pao – © Le Patriote