C’est l’assertion qu’utilisent les étrangers en visite ou résidents au Congo Brazzaville qui ne comprennent pas que les congolais ne profitent pas des nombreuses opportunités qu’offre leur pays.

Lors d’un sommet de l’UA à Kigali, voyant l’extraordinaire développement du Rwanda sous l’impulsion de Paul Kagamé, « le premier des congolais » affirmait sans rire que « les congolais sont paresseux », il regrettait presque que les congolais n’aient pas l’esprit d’entreprise ou les capacités de travail des rwandais. Dans son esprit, il pensait sans doute que les congolais sont génétiquement fainéants, bêtise quand tu nous tiens.

Un des arguments récurrents dans le débat sur le marasme économique congolais consiste à poser le problème en terme de culture et de mentalité (les congolais seraient réfractaires au travail). Ce qui est un véritable complexe d’infériorité, un discours d’auto-dévalorisation surtout quand il est tenu par une certaine élite ou par les pouvoirs publics qui justifient ainsi leurs carences. Toutes les études et les expériences montrent que dans ce domaine comme dans d’autres, l’acquit pour ne pas dire l’éducation est fondamental. Non monsieur, les congolais ne sont pas paresseux, les congolais sont plutôt mal orientés, mal éduqués et ils n’ont pas des bons leaders exemplaires.

À voir les milliers de petites échoppes avec ou sans signalisations tenus par les congolais sur les routes, ou toutes ces femmes qui vendent (quelquefois à même le sol) des fruits et légumes qu’elles transportent souvent sur leur tête, ou encore ces jeunes agents qui vendent des recharges téléphoniques sur les trottoirs, on a du mal à croire que « le congolais n’a pas l’esprit d’entreprise ou l’esprit du commerce », surtout en ces temps de vaches maigres où les hommes politiques ont tout dilapidé.
C’est même tout le contraire qui se dégage de cette vie économique informelle qui grouille véritablement partout, dans tous les quartiers, dans toutes les rues et sur tout le territoire. Le contraste est donc saisissant entre cette réalité et l’analyse rapide de la société congolaise par une certaine élite. Non monsieur, les congolais ne sont ni paresseux ni plus bête que les autres.

Ces élites médiocres qui passent de ministères en ministères depuis plusieurs décennies sans rien produire, sans aucun bilan acceptable, (tout est en ruine au Congo Brazzaville). Aucun secteur dont on peut être fier. Ces élites en sont maintenant à réclamer encore plus de moyens financiers pour justifier leur incompétence. Comme si les moyens financiers suffisaient pour développer un pays ou une administration. Aller donc leur demander ce qu’ils ont fait des excédents budgétaires entre 2012 et 2014. Qu’est devenu le plan PPTE de 2010 qui devait réduire la pauvreté au Congo. Où sont passé tous ces emprunts que le pays n’arrive plus à rembourser. Diantre qui disait que les hommes médiocres ne peuvent produire que de la médiocrité ?

Un complexe étouffant

Cette vision pessimiste des congolais est fabriquée, entretenue pour légitimer un modèle d’État autoritaire, planificateur, initiateur, doté d’une administration corrompu et étouffante, une bureaucratie d’État productrice de réglementations souvent insensées et inapplicables.

Les agents de l’État qui doivent appliqués ces règlementations absurdes jouent souvent leur propre jeu et deviennent ainsi des agents raquetteurs et destructeurs d’initiatives. Quand aux banques dont l’une des missions est d’être des agents dynamiques de l’économie en soutenant les entrepreneurs, elles brillent par une incapacité notoire à jouer leur rôle et elles se cachent derrière « les faiblesses des business plan » présentés par les congolais. En fait, tout est fait pour décourager les entrepreneurs, les porteurs de projets et les investisseurs quand ils sont congolais.

Non monsieur, les congolais ne sont pas paresseux.

Monter une entreprise formelle au Congo Brazzaville passe nécessairement par la corruption et des appuis politiques pour avoir des marchés ; il faut connaître quelqu’un qui connaît quelqu’un : des facilitateurs informels sans adresse et sans bureau qu’on rémunère de la main à main. L’informel. Ce sparadrap de l’économie qui cantonne les gens à la débrouille et convient aux médiocres-gouvernants. L’informel a deux inconvénients majeurs, il ne crée pas d’emploi et ne génère aucune richesse. L’informel permet surtout aux gens de tourner en rond et de ne pas réfléchir.
Même les appels d’offres sont truqués sous une apparence de transparence. Ici, la transparence est factice, elle est dans les textes. Dans la réalité, il y a toujours des initiés, souvent des copains, des frères ou des parents qui finissent par gagner les marchés même s’ils sont incompétents.

C’est l’entreprise qui crée l’emploi

L’idée que le développement se fait nécessairement par l’activité entrepreneuriale, ne semble pas faire partie du paysage analytique des gouvernants congolais. Une certaine science économique, très largement inspirée par une macroéconomie désincarnée plutôt que par l’étude de l’action humaine, a ici très largement contribué à biaiser la perception des mécanismes du développement.
Le « bas » étant posé par définition comme incapable, on le dénigre ; et on justifie en même temps un « haut » qui ne fait en réalité qu’étouffer le « bas » en l’empêchant de s’épanouir.

Les emplois créer par l’État pour assurer ses misions régaliennes sont limités, faut-il le redire ici que ce sont les entrepreneurs (le bas) qui créent les emplois, le rôle de l’État est d’inciter, d’encourager, d’aider et de protéger les entrepreneurs et les investisseurs pour que ceux-ci puissent créer la richesse, donc des emplois.

L’État est souvent mauvais quand il s’occupe de l’économie, jugez en vous même : « Municipalisation accélérée », « politique d’industrialisation », « émergence », « construction des routes », « planification », « encouragement des secteurs clés », « politique des grands travaux », etc. Tout passe « par le haut », c’est à dire le politique, pour quel résultat ? Il n’est plus à démontrer que les hommes politiques sont très mal placés pour parler ou faire de l’ÉCONOMIE : Des multiples exemples à travers le monde l’ont montré.

Le rôle du politique est de créer un environnement sain, favorable pour l’épanouissement de l’entrepreneur et de l’investisseur.
Ce mécanisme d’autolégitimation du politique est bien pratique et aboutit à un formatage idéologique des jeunes diplômés, qui finissent alors par aspirer à un poste dans l’administration plutôt qu’à devenir des entrepreneurs. Le système est alors verrouillé ce qui conduit à attendre tout et n’importe quoi de l’homme politique, de l’État. Résultat, une fonction publique qui est devenue un étouffoir d’initiatives avec des salaires pléthoriques.

Au Congo Brazzaville l’État est en réalité un étouffeur d’initiatives qui prive les populations des opportunités commerciales ou industrielles, pour preuve, l’importation et le commerce de détails des produits manufacturés sont tenus par des non-congolais avec les encouragements ou la passivité des autorités.
Même aux Etats-Unis, le pays le plus libéral du monde, certains secteurs dans les travaux publics sont réservés aux nationaux ; le protectionnisme est un outil économique important pour favoriser l’émergence des capitaines d’industries locaux. Non monsieur, les congolais ne sont pas paresseux.

Culture ou incitations

Les comportements économiques ne sont pas que déterminés par la culture et encore moins par la génétique : les incitations des individus sont très largement dépendantes des institutions formelles, c’est à dire les règles économiques et juridiques explicites, en vigueur et respectés dans un pays. Lorsque tout est fait par une administration corrompu pour mettre des obstacles à la constitution d’entreprises légales dans le secteur formel, comme des délais de plusieurs mois pour obtenir des autorisations ou des titres de propriété, des taxes prohibitifs qui souvent empruntent des chemins détournés, il est bien évident que les entrepreneurs ou les porteurs de projets se cantonnent au secteur informel qui par définition ne leur offre pas l’opportunité de faire grandir leur affaire.

La faible qualité des hommes politiques congolais ainsi que la faiblesse institutionnelle étouffent le développement du pays et donc l’émergence des véritables capitaine d’industries. Des milliers d’entrepreneurs sont ainsi maintenus sous un plafond de verre, cantonnés dans l’informel des années durant sans aucun espoir d’en sortir.

Bien sûr la plupart des gens n’ont pas l’esprit d’entreprise, et n’ont pas un sens aigu de l’organisation. Ce fait n’est pas limité au seul Congo Brazzaville : il est aussi vrai dans les pays dits développés. Mais dans ces derniers, il y a en règle générale un certain degré de qualité institutionnelle qui favorise justement l’épanouissement de l’esprit d’entreprise et de l’organisation de certains, qui peuvent ainsi faire prospérer leurs affaires dans le secteur formel, créer des grands réseaux anonymes de commerce et embaucher, diriger ceux qui n’ont pas ces aptitudes. Dans ce cadre, la possibilité d’imiter ceux qui réussissent, à travers un processus d’essai-erreur-correction, est un moteur puissant pour l’évolution sociétale et économique.

En matière de développement, avant de se poser des questions de culture, qui sont bien sûr importantes, il faut d’abord traiter celles des incitations posées par les institutions formelles émanant du politique.

La créativité humaine est sans limite et l’échange est universel ; dans ce cadre, le processus de développement qui est fondé sur leur épanouissement ne peut être initié que par les institutions de la liberté et non pas par le dirigisme étatique ou autocratique. Non monsieur, les congolais ne sont pas paresseux.

Comme le démontre Adam Smith, le mobile « égoïste » qui incite chaque individu à améliorer sa situation économique engendre au plan national des effets bénéfiques en réalisant l’intérêt général comme si les individus étaient « conduits » à leur insu par une « main invisible », véritable mécanisme autorégulateur du marché qui permet, grâce à la concurrence, une utilisation optimale des ressources productives. A cet égard, il convient de ne pas faire intervenir l’État au niveau économique pour ne pas perturber cet ordre naturel spontané fondé sur l’intérêt personnel de chaque individu.
Pour faire court, Adam Smith considère ainsi que la poursuite de l’intérêt individuel ou « la tendance de chaque individu à améliorer sans cesse son sort » entraîne pour chacun un comportement qui a pour effet d’aboutir, au niveau de la nation, à la meilleure organisation économique possible.

Des entraves à l’entreprenariat, à l’importation, à la création, à l’investissement ont pour effet de décourager les agents économiques. L’une de ces entraves est la corruption qui est un véritable cancer pour l’économie. Non monsieur, les congolais ne sont pas paresseux.

Patrick Eric MAMPOUYA