A l’occasion du 43e anniversaire de la mort du 1er président de la jeune nation indépendante congolaise, nous avions pensé lui rendre hommage à notre manière mais digne et exempté de toute polémique déplacée et surtout incongrue.
Fulbert Youlou, né le 09 juin 1917 à Madibou (région du Pool), fut président de la république du Congo-Brazzaville, du 21 novembre 1959 au 15 août 1963. Le 15 août 1960, jour de l’indépendance de notre pays, au stade Félix Eboué, l’abbé Fulbert Youlou avait prononcé un discours qui restera à jamais dans les annales de l’histoire du Congo-Brazzaville.
L’anathème d’un président incompris
Il était un ardent partisan du libéralisme économique. Dès sa prise du pouvoir, il adopta une politique modérée, s’efforçant ainsi d’attirer les investissements au Congo, comme en témoigne ce discours tenu le 8 décembre 1958 : « Nous sommes prêts à formuler toutes garanties pour que s’investissent sans crainte, et dans la plus grande confiance, les capitaux publics et privés sans lesquels il n’est pas possible de concevoir la mise en place de grandes sources d’énergie et des usines de transformations. »
Méticuleux et bon gestionnaire, il lança des grands travaux dans l’ensemble du pays. Mais le climat politique deviendra délétère à partir du mois d’août 1962, lorsqu’il annonça son intention d’institutionnaliser le parti unique « afin de sceller la réconciliation et l’unité nationale réalisées ».
Nationaliste farouchement anticommuniste, prêtre en rupture avec la hiérarchie catholique pour son engagement politique, Fulbert Youlou continuait à porter la soutane par défi. Son goût pour le luxe, ses soutanes commandées chez les grands couturiers français, son libertinage sont parmi les raisons de sa chute. Tout comme son autoritarisme et cet étrange projet d’instaurer un système de parti unique. Si son parti, l’Union démocratique de défense des intérêts africains (Uddia) l’y encourage, le Mouvement socialiste africain (MSA), le Parti progressiste congolais (PPC), les syndicats et l’armée s’en inquiètent. C’est dans ce climat tendu qu’il décide, le 8 août 1963, d’interdire toute réunion politique. Le 12, il fait arrêter quatre leaders syndicaux. Deux erreurs fatales.
Les syndicalistes, opposés au principe de parti unique, conduisirent un mouvement insurrectionnel du fait de l’arrestation de leurs collègues. Résigné, l’abbé Fulbert Youlou signa sa démission en tant que président de la République, maire de Brazzaville et député à l’Assemblée.
Le nouveau régime qualifie les journées insurrectionnelles du 13, 14 et 15 août 1963 comme « révolutionnaires ». Il les nomme les « Trois glorieuses ». Ce fut en réalité qu’un coup d’Etat classique. Les détracteurs de l’abbé F. YOULOU lui reprochèrent d’être tribal et auteur de corruption mais sans rien prouver.
Au soir du 15 août 1963, celui qui, dès 1956, balisait la voie menant à l’indépendance du Congo, se retrouve prisonnier dans un camp militaire qui, ironie du sort, porte son nom !
Après quelques jours passés en prison à Brazzaville, l’abbé Fulbert YOULOU prit le chemin de l’exil jusqu’à sa mort à Madrid le 5 mai 1972, d’une hépatite.
Immédiatement, les pro-Youlou exigent le retour de son corps afin de lui administrer les cérémonies funéraires nécessaires. Le président de la République Marien Ngouabi accepte afin d’éviter que ne se reproduise un mouvement messianique à l’image du matswanisme. Le 16 décembre 1972, après que sa dépouille a été exposée trois jours durant dans la cathédrale de Brazzaville, il est enterré dans son village natal de Madibou, sans aucune cérémonie officielle.
Fulbert Youlou a écrit de nombreux et intéressants articles sur les coutumes africaines et sur la pharmacopée congolaise. Deux violents pamphlets anticommunistes ont été également publiés sous sa signature: « J’accuse la Chine » (Ed. de la Table Ronde, 1966) et « Comment sauver l’Afrique? » (Imprimerie Paton, Troyes, 1968).
L’abbé Fulbert Youlou, l’homme du peuple a consacré sa vie à la modernité et surtout à la démocratisation du peuple congolais. La quête de l’équilibre et du bien-être social du peuple congolais étaient les priorités premières du président Youlou. Comme le témoignage ses nombreux textes.
« Jeunesse congolaise, dans tous les pays, la jeunesse se met avant tout au service du peuple. C’est-à-dire qu’il doit être exclu qu’elle devienne l’instrument servile et aveugle des ambitions personnelles d’un homme ou d’un groupe d’hommes ; d’un groupe d’hommes sans perspectives et sans idéal. D’un groupe d’hommes uniquement animés d’intentions macabres. » Abbé Fulbert Youlou : J’accuse la Chine. P.204.
Il serait approprié de s’étendre sur cette citation bien prémonitoire au regard de la situation que traverse le Congo-Brazzaville en 2015. Les Congolais ont toujours eu du mal à s’inspirer et à suivre la voie du KIMUNTU, prônée par le premier Président, l’abbé Fulbert YOULOU. Des hommes aux aspirations et visions macabres se sont saisis du bien commun congolais pour en faire une priorité mais laissant les populations errer dans le dénuement. C’est ainsi que les congolais ont été abusés par des politiques vicieux et égoïstes en les entraînant dans un cycle infernal qui a conduit à renverser le 1er président élu du Congo.
En ce jour de commémoration, il n’est nullement question de ressasser dans son intégralité la vie incomprise du 1er président du Congo que le temps semble jeter dans l’oubli. Plusieurs écrivains se sont d’ailleurs longuement penchés sur sa vie politique. Pour mémoire, nous vous invitons à lire la biographie de l’Abbé Adolphe Tsiakaka sur L’abbé Fulbert YOULOU (la mémoire oubliée du Congo-Brazzaville) pour découvrir la pertinence de l’homme et surtout sa vision d’avant-garde pour le Congo.
Nous voulons simplement dire au peuple, car c’est notre devoir et notre rôle.
A quand un mausolée décent à la mémoire de Fulbert Youlou ?
Notre incompréhension est totale : Comment comprendre que le mausolée du premier président, l’homme qui signa la déclaration d’indépendance en compagnie d’André Malraux, représentant du général de Gaulle soit abandonné ? Nous nous révoltons contre la mémoire sélective du gouvernement de Denis Sassou qui n’a jamais inscrit une ligne de crédit pour reconstruire et réhabiliter ce lieu plein de symboles pour notre République. Nous dirons plus laisser dans un Etat de délabrement inimaginable. Ce lieu qui doit être considérer comme un patrimoine national est livré à l’abandon, pour ne pas dire ignoré par les pouvoirs publics.
L’envoyé spécial de Dac-Presse à Madibou, a eu à souffrir en silence en faisant le triste constat de l’abandon des lieux. Un lieu en piteux état qui fait honte à la nation congolaise. Les quelques rares citoyens qui s’y rendent en ressortent choqués et amer. De temps en temps ce sont les groupes religieux et quelques bénévoles qui s’activent pour débroussailler l’endroit en essayant d’y maintenir un cadre digne. Le mausolée est dans un état d’abandon. La plaque qui ornait l’entrée du mausolée a volé en éclat. Quand il pleut, l’eau entre jusqu’au niveau du centre de la tombe, là où repose le premier président, le père de l’indépendance du Congo. « Est-ce que c’est de cette manière là qu’on peut rendre hommage au premier président du Congo ? » Serait-il inopportun de demander au gouvernement de le réhabiliter ce site ?
On dépense des milliards dans des frasques jouissives sans intérêt, mais que l’on soit insensible à la mémoire de nos anciens, de surcroît, ancien Président du Congo, cela est inadmissible. Nous devons réhabiliter la mémoire de l’un des pères fondateurs de la République du Congo parce qu’un peuple sans histoire est un monde sans âme.
Pourquoi le Ministère de la culture du Congo-Brazzaville est-il indifférent pour reconstruire ce patrimoine national historique ?
Un adage populaire dit : «Chaque temps sa génération. Chaque génération sa mission». C’est tout à l’honneur du peuple Congolais que nous interpellons le gouvernement de la république pour s’intéresser et réhabiliter ce mausolée. A travers ce mausolée, c’est une partie de l’histoire du Congo qui sera contée aux générations futures.
Jean-Claude BERI