C’est vrai les populations devaient être mobilisées par les partis politiques dans l’éveil de la conscience. Mais nous n’avons pas de paysage médiatique propice à ce type de travail.
Ajouté à cela l’enclavement du pays. Qu’à cela ne tienne, c’est à notre corps défendant que nous nous battons pour faire passer le message à l’endroit des populations. Mais quand vous êtes dans un pays où les médias sont caporalisés et la presse privée étouffée, cela pose un véritable problème de mobilisation et de sensibilisation. Ce déficit des infrastructures de communication et la restriction des libertés sont à la base du désintéressement des populations à relayer les messages de l’opposition. Donc nous avons beaucoup à faire pour faire retrouver au peuple sa souveraineté.
GUY-ROMAIN KINFOUSSIA (GRK): Le Congo a des relations historiques avec la France qui est notre premier partenaire. S’il a été reçu, c’est tout à fait normal dans le cadre de la diplomatie bilatérale et africaine. Mais nous ignorons les termes de référence de leur rencontre. C’était une audience publique et non un tête-à-tête comme on l’a malicieusement distillé au Congo. Par contre, ça m’étonnerait qu’il ait été bien accueilli car la diaspora l’a toujours boudé. Il a fait transporter à Paris, aux grands frais, des badauds pour aller l’applaudir à son arrivée. Ce n’est pas la diaspora congolaise ; celle-ci a d’autres choses à faire que d’aller applaudir quelqu’un qu’il a vomi depuis longtemps.
AEM: Que dites-vous de la proposition du président Sassou sur le retour des membres de la diaspora au pays?
GRK: Le président Sassou doit d’abord s’occuper des diplômés sans emploi qui sont au pays avant d’aller chercher ceux qui sont loin et qui ont eu l’intelligence de se débrouiller comme ils peuvent. Il faut se rappeler, sous Sassou I, au cours d’une visite effectuée en France, qu’il s’était révolté face aux Congolais qui travaillaient dans les services de la voirie oubliant qu’il n’y a pas de sots métiers mais de sottes gens. Aujourd’hui les Congolais de l’Europe essaient de s’intégrer pour avoir une activité décente et digne leur permettant de venir en aide à leurs familles. C’est pourquoi j’ai dit que le président Sassou a fort à faire dans le domaine de l’emploi et depuis qu’il est revenu au pouvoir par les armes, il n’a fait que donner des armes à ses miliciens pour garantir la survie de son régime qu’il veut perpétuel.
AEM: Au courant de cette année 2013, il sera organisé des élections locales. Est-ce que le collectif des partis dont votre parti, UDR-Mwinda, est membre, va y participer?
GRK: Sur cette question, le collectif a une position simple et claire. Nous avons posé un certain nombre de préalables. Si cela n’est pas examiné d’une manière consensuelle qui ne nous permette pas d’aller à ces élections ; celles-ci ne seront qu’une mascarade de plus. C’est pour ça que nous attendons que Monsieur Sassou réagisse à l’appel que nous avions lancé pour organiser les états généraux de la Nation au cours desquels nous allons examiner toutes les questions qui gangrènent la société congolaise parmi lesquelles la question électorale qui est une particularité. Il y a aussi la question sociale. Aujourd’hui, nous assistons à une grève des enseignants qui risque d’entraîner une année blanche. Pour dire que les problèmes des Congolais sont multidimensionnels, et que la question électorale est une question périphérique pour nous et qui doit être réglée selon les standards internationaux en vigueur dans d’autres pays.
AEM: Des supputations tournent autour de la révision constitutionnelle, quelle est la position du collectif et de votre parti?
GRK: Mon parti, UDR-Mwinda, a une position simple : Le président Sassou s’est fait tailler sur mesure une constitution pour des raisons qui lui sont propres. Nous lui demandons de parachever son mandat qui arrive à terme en 2016 sans la modifier. Nous ne nous interrogeons pas sur l’éventualité de la révision constitutionnelle car celle-ci renferme, en son sein, des dispositifs qui ne lui permettent pas de faire des révisions sur les points qui pourraient l’intéresser.
AEM: Il y a une frange de l’opposition qui se dit républicaine pour se démarquer de votre collectif, qu’est-ce qui divise réellement l’opposition?
GRK: Un parti est en train de s’arc-bouter pour nous fabriquer une opposition dite « républicaine » comme si les autres ne l’étaient pas. Qu’est-ce qui se passe en réalité ? Monsieur Sassou s’est aperçu qu’il existe dans le pays des partis qui ont la vocation d’être républicains, respectueux de l’ordre républicain et de la règle du jeu ; de préserver la paix. C’est la préoccupation première de notre parti. On a le sentiment d’être courtisés par le pouvoir pour être la tête de file d’une opposition qu’il veut fabriquer à sa guise pour obéir à tous les desseins qu’il est en train de préparer. L’UDR-Mwinda s’y refuse et nous ne prendrons jamais part. Ce n’est pas le label républicain qui changera quelque chose. Il nous faut une opposition libre et démocratique qui travaille selon la règle de jeu définie par la constitution. Nous sommes des partis qui participons à l’animation démocratique dans notre pays. À ce titre, nous ne voyons aucun label supplétif que l’on peut nous donner sachant très bien que, dès l’instant où notre action s’inscrit dans l’amélioration des conditions de notre peuple, nous sommes forcément républicains.
AEM: Sur le plan économique, le Congo affiche une croissance soutenue depuis plus d’une décennie et l’objectif est d’atteindre l’émergence d’ici 2025. Quel est votre commentaire?
GRK: L’économie est d’abord faite pas les populations. La question que l’on peut se poser est celle de savoir le sort réservé à la société congolaise face à cette croissance affirmée, certes, essentiellement grâce à la manne pétrolière qui ne cesse de faire des bonds en avant mais cet argent est détourné par le président Sassou et sa bande. Et le peuple congolais n’en tire aucun bénéfice. Comme commentaire, cette manne pétrolière, pour un pays de moins de 4 millions d’habitants, aurait dû servir à développer le pays et le pays émergent ne serait pas en 2025 mais maintenant. Sans compter que les dessous de cartes de Monsieur Sassou ne disent pas ce qu’il veut. Il pense être demain l’acteur principal de cette émergence en 2025. Ça veut dire qu’il a, dans sa tête, la maligne idée qui laisserait penser qu’il serait toujours aux commandes jusqu’à 2025. Il se trompe, il s’arrêtera en 2016 comme le prévoit la constitution.
AEM: Lors du récent passage du président Sassou à Paris, il a évoqué l’incompétence de la justice française sur le dossier des biens mal acquis, peut-on dire que c’est un dossier définitivement clos?
GRK: Le dossier n’est pas clos et le président Sassou ignore le droit. La question qui se pose est celle de l’existence sur le sol français des biens présumés avoir été détournés au peuple congolais. Il existe, aujourd’hui, des ONG qui ont les compétences de traduire en justice les auteurs de ce type de malversations. Donc le président Sassou peut diligenter la justice qu’il veut dans son pays pour camoufler toutes les exactions et tous les détournements qu’il peut faire au Congo. Mais la France a le devoir d’observer s’il y a une atteinte à la loi française en particulier sur la circulation de la monnaie. La perquisition faite dans les appartements de la famille de monsieur Sassou a fait découvrir une masse d’argent énorme stockée hors circuit bancaire. La France n’autorise pas de ghettos sur son territoire où l’on stocke de l’argent détourné par les dictateurs africains. Il se trompe lorsqu’il pense que la France va occulter ce dossier. Ce dossier est pendant et doit se poursuivre.
AEM: En 2015, le Congo va abriter les jeux du cinquantenaire. Pensez-vous que cela est possible dans le laps du temps qui reste?
Tout d’abord les organiser est une bonne chose mais ce qui est important, c’est d’avoir des sportifs de haut niveau. Le Congo, qui a organisé les Premiers Jeux Africains, n’a plus de bons athlètes et il affiche une piètre figure lors des compétitions. Aujourd’hui, il y’a des balbutiements au niveau du football ; même là il n’y a qu’une seule équipe qui essaie de défendre l’honneur du pays. Il n’existe pas de tissu sportif au Congo. Quant aux infrastructures qui accueilleront les jeux, je pense que le Congo ne sera pas au rendez-vous pour la simple raison que les conditions matérielles de réalisation de ces infrastructures demandent beaucoup de temps. Demain si nous arrivons à le faire, ça sera dans des installations précaires.
AEM: Pour sortir de la crise, que diriez-vous aux Congolais?
GRK: Je leur dirais : «Indignez-vous!» Les Congolais souffrent et vivent mal dans leur peau. La jeunesse est désemparée, les enseignants sont en déroute, la fonction sanitaire est précaire. Le peuple congolais, dans son intégralité, est aux abois parce qu’il n’y a aucune politique sociale, aucune politique de formation. Ce qui m’étonne est que ce même peuple ne se révolte pas face à cette injustice criante. Il devait s’indigner. Je leur dirais tout simplement d’éviter la politique de la chaise vide car si l’on ne s’occupe pas de la politique, la politique s’occupe de vous. Nous assistons, aujourd’hui, à un balbutiement avec la grève des enseignants. Ils ont compris que c’est au bout de la lutte que se trouve la solution.
AEM: N’y a-t-il pas un déficit au niveau de la sensibilisation des populations de la part des partis politiques?
GRK: C’est vrai les populations devaient être mobilisées par les partis politiques dans l’éveil de la conscience. Mais nous n’avons pas de paysage médiatique propice à ce type de travail. Ajouté à cela l’enclavement du pays. Qu’à cela ne tienne, c’est à notre corps défendant que nous nous battons pour faire passer le message à l’endroit des populations. Mais quand vous êtes dans un pays où les médias sont caporalisés et la presse privée étouffée, cela pose un véritable problème de mobilisation et de sensibilisation. Ce déficit des infrastructures de communication et la restriction des libertés sont à la base du désintéressement des populations à relayer les messages de l’opposition. Donc nous avons beaucoup à faire pour faire retrouver au peuple sa souveraineté.